Par Serge Patry, bénévole au Centre d’archives Mgr-Antoine-Racine
« La terre est riche, le bois facile à faire et tout indique un succès au bon travaillant », pour les colons arrivant au canton Bellecombe à l’été 1935
Journal Le Messager, « Nos colons au Témiscamingue », Sherbrooke, 4 août 1935, p.1
Après avoir officialisé la prise de possession des terrains vacants du comté de Woburn le 18 avril 1881, la Société de colonisation de la cité de Sherbrooke entreprend ses activités, soit de faciliter l’installation de colons sur de nouvelles terres. Tous les ans, le conseil d’administration se réunit pour faire la répartition de la subvention annuelle reçue du gouvernement selon la priorité des demandes, dans la plupart des cas pour l’amélioration du réseau routier.

Les procès-verbaux de ces réunions annuelles sont conservés au Centre d’archives Mgr-Antoine-Racine, le dernier remontant à 1929. Il mentionne que la société dispose d’un montant de 3 950$ accordé par le gouvernement et qu’après une étude des demandes, il sera distribué selon une proposition adoptée par le conseil[1]. Une note ajoutée deux mois plus tard à la fin de ce procès-verbal révèle quelque chose d’inhabituel dans les activités courantes. Elle est en lien avec une lettre venant du ministère de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries et adressée au secrétaire de la société. Le texte divulgue un arrangement pour une période de dix ans entre l’évêque de Sherbrooke, Mgr Alphonse-Osias Gagnon, et le ministère stipulant que le montant de la subvention promis sera plutôt affecté « au paiement d’une avance faite par la corporation épiscopale du diocèse de Sherbrooke pour venir en aide à certains colons du diocèse »[2]. Est-ce en quelque sorte la fin de la société? En fait, on ne sait pas comment se terminent ses activités, car nous n’avons aucune trace de documents témoignant de sa dissolution que ce soit dans les journaux de l’époque ou dans les fonds du Centre d’archives.
Cependant, il faut souligner que la crise économique débutant à l’automne 1929 vient probablement chambouler les activités, pas seulement de la société de colonisation, mais également de l’économie canadienne. Avec l’afflux de chômeurs dû à la récession, les différents paliers de gouvernements décident alors de s’impliquer activement dans la colonisation en mettant en place quatre projets[3] durant la période de 1932 à 1950, notamment le plan Vautrin, géré exclusivement par l’État québécois. D’ailleurs, participant à une réunion importante à Québec au début de l’année 1934, le cardinal Villeneuve, archevêque de Québec et M. Hector Laferté, ministre de la Colonisation, s’accordent à dire que la colonisation peut être une solution efficace au problème du chômage. De plus, pour l’Église, c’est revenir aux valeurs traditionnelles en encourageant les gens à quitter les villes pour un retour à la terre.
Le journal La Tribune du 5 mai 1934 annonce la formation d’une nouvelle société de colonisation qui va porter le nom de Société de Colonisation du diocèse de Sherbrooke. Comme celle créée en 1881, le clergé est partie prenante dans le projet et la société prend forme sous l’égide de l’évêque de Sherbrooke avec à la présidence Mgr Olivier-Zacharie Letendre, le curé de la cathédrale, et l’abbé Armand Malouin, à titre de secrétaire-trésorier. Dans le diocèse de Sherbrooke comme partout au Québec, un grand nombre de fils de cultivateurs sont en âge de s’établir et au lieu de les envoyer un peu partout en province, ils pourront s’installer sur des terres prêtes à la colonisation situées dans des paroisses déjà existantes[4].

Mais la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Dès le début du mois de mars 1935, le Département de la colonisation annonce qu’il n’y aura pas de terres colonisables cette année dans les limites du diocèse, laissant ainsi 600 aspirants-colons en plan. La Société de Colonisationse tourne alors vers l’Abitibi, une région frappée durement par la crise économique et au mois d’avril, le gouvernement leur accorde le droit de s’installer dans le canton Bellecombe au sud de Rouyn. Et le temps passe, nous sommes à la fin juin et les dirigeants de la société de Sherbrooke commencent à manifester une certaine frustration. Un peu partout au Québec des colons s’installent, mais ceux de Sherbrooke n’ont toujours pas entrepris leur périple vers les terres abitibiennes[5]. Enfin, le 26 juillet, un premier contingent d’environ 50 colons prend la route, et après « 580 milles en chars, cinq en camion et 2 milles et demi à pied », ils arrivent au canton Bellecombe. Dès le lendemain de leur arrivée, ils s’attèlent à la tâche pour ouvrir le chemin qui leur permettra d’atteindre les lots qui leur sont assignés[6].
Heureuse nouvelle! Le 29 décembre 1935, les registres de Bellecombe enregistrent le premier baptême dans la nouvelle colonie, celui d’Anne-Marie-Lina, fille de Hector Lagassé et de Éva Caron, née le 21 décembre. L’abbé Malouin, présent dans la colonie pour le temps des fêtes, profite de l’occasion pour officier le baptême de la jeune fille dont la porteuse durant la cérémonie est la garde-malade assignée à la colonie, graduée de l’hôpital du Très-Saint-Sacrement de Québec, Mlle Marguerite Patry[7].
[1] Procès-verbal de la 48e assemblée annuelle tenue le 4 mars 1929. Liste proposée et adoptée : Saint-Fortunat, 300$; Saint-Jacques, 500$; Ham Nord, 250$; Saint-Adrien, 500$; Martinville, 350$; Winslow, 250$, Johnville, 250$; Val Racine, 650$; Ham Sud, 200$, Fitch Bay, 500$; Notre-Dame de Ham, 200$. P1081/2.2.
[2] Lettre du 7 mai 1929 écrite par le sous-ministre du ministère de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, M. L.-A. Richard, pour le secrétaire de la Société de colonisation de la cité de Sherbrooke, l’abbé Léon Lemay. P1081/4.1.
[3] Plan Gordon (1932-1934), Plan Vautrin (1934-1937), Plan Rogers-Auger (1937-1942), Plan Bégin (1946-50).
[4] Journal La Tribune, « Société de colonisation dans le diocèse de Sherbrooke », Sherbrooke, 5 mai 1934, p.3, sur le site de la BAnQ, https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3496074?docsearchtext=Soci%C3%A9t%C3%A9%20de%20colonisation%20de%20la%20cit%C3%A9%20de%20Sherbrooke
[5] Journal Le Messager, « Communication de la société de colonisation diocésaine », Sherbrooke, 30 juin 1935.
[6] Journal Le Messager, « Nos colons au Témiscamingue », Sherbrooke, 4 août 1935, p.1.
[7] Journal Le Messager, « Pour l’histoire de Bellecombe », Sherbrooke, 26 janvier 1936, p.7.